L’Art du Chi au temps du Corona virus – 1re partie


(L’enseignement de l’Art du Chi via les écrans)

03 MAI 2021


L’Art du Chi au temps du Corona virus – 1re partie


Paralysés. Menacés. Pandémie oblige, nous sommes isolés, enfermés, pris au piège du confinement. Pour en sortir, il y a les écrans. Des fenêtres ouvertes sur le monde, sur les autres. Voir et être vu… mais pas touché. Et ces fenêtres se font tantôt soulagement, consolation ou tantôt pis-aller, exutoire… Écoutez les nouvelles, les médecins et psychologues, regardez autour de vous, la majorité d’entre nous cherche à travers les écrans un peu de ce que nous avons perdu : la vie telle qu’on la vivait avant le confinement. C’est bien sûr trop demander aux écrans et on a hâte de retrouver la vie d’avant avec bien sûr, sa « culture du divertissement » (slogan d’un grand magasin de disque et livres de Montréal).
 
Mais si on regarde bien, les conditions actuelles ne sont pas si nouvelles. La pandémie ne fait que rendre plus visible notre attitude face à la vie. Nous restons prisonniers du regard que nous portons sur le monde. La science, la politique et l’économie en sont les reflets. 
 



L’Art du Chi nous permet de chercher autre chose, un autre regard, une autre attitude. Nous pratiquons des techniques que des maîtres et moines pratiquaient il y a des centaines, voire des milliers d’années. Ceux-là mêmes qui s’isolaient dans des grottes et se cloîtraient dans des monastères. La situation actuelle nous permettrait-elle de mieux les comprendre ? Qui sait si nous ne trouverions pas un autre sens à l’isolement, le leur… et le nôtre ? Cela pourrait peut-être changer le regard que nous portons sur nos écrans. Nous cesserions de chercher à combler l’absence de l’autre et irions à la recherche de nous-mêmes. C’est bien cela que nous cherchons dans l’Art du Chi, n’est-ce pas ?
 
Et il y a des surprises à la clé. Par exemple, les cours en « présentiel » s’en trouveront considérablement enrichis. Et puis, permettez-moi de rêver un peu, parce que changer notre regard c’est changer nos besoins et en définitive, c’est changer la société. On pourrait ne plus se laisser traiter de « client » ou de « consommateur ». Et on deviendrait autre chose que « le public ».
 

Les bienfaits de la pratique de l’Art du Chi sont nombreux. Sur notre santé, ils sont parfois stupéfiants. Le bien-être, la sensation de revivre, la découverte du corps, du mental, de l’inconscient, de l’être, tout est touché.
 
Cependant, on ne sait rien du Chi et de la vie, et on ignore ce que ce « tout est touché » signifie vraiment pour nous. Que la pratique de notre art entraîne un meilleur usage du corps, oui, certainement. Mais cela n’explique pas tout. On observe certains effets secondaires, de nouvelles perceptions, des changements de vie, des réactions qui semblent illogiques et qui pourtant s’avèrent justes… 
 
 
C’est évident, nous avons hâte de nous retrouver vraiment, de participer à nouveau tous ensemble aux cours et sentir l’énergie du groupe nous porter. Ceci dit, j’aimerais profiter de l’occasion que nous offre cette pandémie ( ! ) pour attirer l’attention sur une zone d’ombre de l’enseignement. Il s’agit, je pense, d’une des causes majeures qui limitent l’approfondissement de l’Art du Chi. 
 
Aussi surprenant que cela puisse paraître, je dirais que la distinction entre suivre les cours en présentiel et les suivre sur un écran n’est pas si tranchée. Tout dépend de la façon dont on suit le cours. Pour éclairer cette affirmation, il me faut dire quelques mots sur la société et la communication. Pour commencer, je fais la distinction entre « les communications » et « la communication ». « Les » communications sont une caractéristique marquante de notre société. Elles sont partout et souvent avec leurs lots de débordements, car voilà belle lurette que les communications se sont éloignées de l’information et qu’elles se sont installées solidement dans l’art, la politique et le commerce. 
 
Ainsi, « les » communications ont influencé « la » communication. Les communications impliquent des technologies et nous trempent dans le social et la distinction, alors que la communication est une relation qui nous plonge dans la proximité entre les êtres vivants. Les communications sont éloignement, la communication est rapprochement. Les communications caractérisent notre monde actuel, elles instaurent la distance physique, elles ne l’éliminent pas. Pire, elles le font insidieusement en revendiquant le contraire. C’est la communication qui supprime la distance et rapproche les êtres. 
 
Comme je le disais dans l’article précédent (La pratique de Pierre), lors de nos pratiques de Tai Ji Quan, le groupe nous renforce ( il est du domaine de la communication, donc du rapprochement ). Mais il nous distrait aussi puisque regarder les autres, même si c’est pour tenter de mieux s’intégrer à l’ensemble, revient aussi à s’en dissocier, exactement comme devant l’écran ( regarder est du domaine des communications et de l’éloignement ). Je regarde l’autre et en essayant de le suivre, je m’en distingue, je le garde à distance. L’autre est loin, hors d’atteinte. 
 
Nos pratiques de Tai Ji Quan en groupe sont des exercices prodigieux à plus d’un titre. On y fait par exemple de constants va-et-vient entre l’intériorité et l’extériorité. La vague nous porte, mais l’instant d’après on coule à pic. On se sent bien entouré, belle unité et douce confiance jusqu’à ce que quelqu’un se transforme en guide exclusif et suprême et détourne l’attention. Et puis cette attention aux mouvements du Chi dans notre corps qui devient parfois monologue intérieur, etc. Suivre un cours en présentiel est truffé de moments où l’on se retrouve comme devant un écran, et la vie reste masquée et lointaine.
 

On sait que sans contact physique, le bébé meurt. Y aurait-il quelque chose du deuil face aux écrans ? Effectivement, c’est le deuil du vivant, le tactile ne rencontre que l’objet-écran, souris ou clavier, pas la vie. De ce point de vue, l’écran et l’image ne sont que des leurres. Mais si nous cherchions autre chose, une autre relation, si nous évitions l’extériorité de nos sens et le piège de la sidération de l’image ? Si, en suivant un cours devant notre écran, au lieu de nous tourner vers l’enseignant dans une vaine tentative de s’en rapprocher, nous nous tournions vers nous-mêmes ? C’est le chemin de l’intériorisation, c’est bien l’orientation de l’Art du Chi !
 
Cette intériorisation, nous la côtoyons plus facilement durant les cours de Chi. En fermant les yeux, on se coupe de la distraction de l’image et on se tourne vers soi ( « à l’intérieur, dedans » ). Le cours alors n’est plus une mise en scène ou un artifice, mais une occasion de se rapprocher de la réalité physique de la vie. 
 
Alors que l’image véhiculée par les communications exaspère le « moi-égo » ( vive les selfies ! ), nos cours de l’Art du Chi se situent dans une recherche diamétralement opposée, celle du « moi-Chi », du « moi-souffle ». Dans l’effacement de la personnalité ( tant celle du professeur que celle de l’élève ) pour se rapprocher du « moi-tout ».
 
Mais le moi-égo, le moi-individualiste, le moi qui nous sépare du monde, ce moi n’est pas l’apanage des images et des écrans. Ce moi-là découle du monde que nous avons créé, des habitudes construites par l’éducation. Ce moi-là est là tout le temps ou presque. Il est présent en nous, nous nous y identifions. C’est le moi des communications qui n’a que l’apparence du collectif. Ce moi-là est présent durant les cours en présentiel aussi. Chacun se distingue en se référant aux autres. Et comme devant nos écrans, les autres sont loin et on est seul, seul, seul. 
 
Seul, curieusement c’est exactement ce qui peut nous rapprocher de la grotte et du monastère qui isolaient les moines pour leur permettre de se tenir loin de la société afin de s’intérioriser et de se rapprocher du tout de la vie ! Seul, c’est bien cela qu’il nous faut pour rentrer en soi… et y trouver l’autre. 
 
Si on ne saisit pas cette occasion, nous sommes condamnés à l’insatisfaction. Pour notre santé, il faut arrêter de considérer les cours via Zoom comme des substituts des cours en présentiel, ce ne sont pas des leurres si on les prend bien. Et souvenons-nous que les cours en présentiel ne sont pas garants d’un rapprochement.

À SUIVRE







 



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